Imaginez…

Imaginez…

Imaginez que vous soyez un simple ouvrier, sans histoire dont l’une des préoccupations principales est de se mettre en quatre pour faciliter la vie des personnes qui vous entourent. Imaginez qu’il vous arrive de lire des livres de philosophie, non pour vous cultiver, mais simplement parce que vous souhaitez trouver des réponses à la question: comment bien vivre? Imaginez qu’il vous arrive régulièrement de désamorcer des conflits, parfois d’aider la voisine et ses enfants à payer son loyer quand les fins de mois sont trop difficiles. Imaginez que vous soyez sans confession particulière, attentif aux autres mais sans autre motif que celui de leur présence dans votre vie.

Oui, en énumérant toutes ces qualités, je réalise déjà la distance qui peut séparer de Joseph Turner. Mais bon, qu’à cela ne tienne, je continue un peu cet exercice…

Imaginez que vous ayez été très amoureux d’une personne aux moeurs plutôt répréhensibles suivant les codes moraux, une personne prête à louer son corps pour gagner sa vie. Imaginez enfin que dans l’exercice de votre métier, vous êtes riveteur, c’est-à-dire un ouvrier qui fixe les poutres métalliques constituant l’armature des buildings, vous fassiez un jour une chute de 24 étages, une centaine de mètres du sol.

A priori nous sommes arrivez à la fin de notre exercice d’imagination… Pourtant vous vous relevez. Il y a des dizaines de témoins. Votre montre a volé en éclats, mais vous, vous êtes indemnes, pas une égratignure. Les médecins n’en reviennent pas, les journalistes veulent tous un scoop, vous devenez à votre corps défendant une super star.

C’est dingue comme histoire. Quel sens peut bien prendre votre vie après un tel événement? C’est tout le propos du livre de Charles Sailor, Le second fils de l’homme, un roman paru à la fin des années 70 aux Etats-Unis et traduit en français au début des années 80 chez J’ai lu. Un roman que Rémy, un copain de la fac d’économie m’avait fait découvrir au printemps de mes 19 ans. Un roman passionnant, dont l’histoire nous conduit dans les méandres de la croyance et de son instrumentalisation, dans les couloirs du Vatican, dans les calculs de la politique et surtout dans la tête d’un homme ordinaire confronté à une situation extraordinaire.

Enfin pas si ordinaire que ça, parce que Joseph Turner est porteur de nombreuses qualités hyper développées. Il est généreux, prévenant, habité d’un bon sens à toute épreuve, mais ce n’est pas un saint. Il est sain dans son corps et dans son esprit. Il aime aimer physiquement et moralement.

Le roman de Charles Sailor m’a questionné sur le pouvoir que l’on peut détenir et ce qu’on en fait. Il met en résonance une parole sage de la mère de Kirikou dans le film de Michel Ocelot lorsque l’enfant lui demande pourquoi Karaba la sorcière est si méchante. La mère lui répond qu’elle a peut être simplement plus de pouvoirs que les autres… N’est-il pas tentant d’instrumentaliser son potentiel d’action sur le monde lorsque l’on peut se mettre à tout manipuler à volonté? Le livre de Charles Sailor raconte les doutes et les difficultés que rencontre Joseph lorsque le pouvoir extraordinaire dont il est l’ignorant dépositaire, se manifeste conjointement à ses yeux et ceux du monde entier. Comment les convoitises se déchaînent, mais comment également des millions de personnes se tournent vers leurs désirs profonds et abandonnent progressivement tout ce qui rend parfois si superficiel nos rapports aux autres et au monde. Abandons en cascade qui déclenchent la panique des institutions politiques, religieuses et financières.

Voici un roman qui n’est pas une nouveauté, mais mérite tout de même d’être découvert pour cette rentrée littéraire parce qu’il témoigne aussi du courage d’un auteur dont ce livre était, et demeure aujourd’hui encore, l’unique production éditoriale.

 

Un livre à découvrir

Un livre à découvrir

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