Pour enfin comprendre (un peu mieux) la crise… les crises…

Pour enfin comprendre (un peu mieux) la crise… les crises…

Une crise systémique…

En ces temps de grisailles économiques, il ne se passe pas un jour sans que les médias n’abordent d’une façon ou d’une autre la crise, déclinant à loisir le moindre signe susceptible de renforcer ce sentiment général de crise. La crise habite parmi nous. Des informations chacun de nous peut en recueillir énormément, mais des analyses qui permettent de les contextualiser et d’en analyser le sens, au-delà du simple constat, il est bien difficile d’en trouver.

C’est ici que le livre de Nicolas Béniès, enseignant à l’Université populaire de Caen (fondée par Michel Onfray), est le bienvenu. Son Petit manuel de la crise financière et des autres résonne comme une magnifique variation sur les problématiques que soulève la crise. D’ailleurs le singulier est aujourd’hui à abandonner parce qu’en préambule, Nicolas Béniès nous rappelle que nous assistons aujourd’hui à une crise systémique. Qu’est-ce que cela peut bien signifier? Tout d’abord que cette crise est profonde parce qu’elle touche tout à la fois les sphères financière, économique, sociale et environnementale. Cela signifie aussi que c’est une crise idéologique qui marque la faillite de l’idéologie néolibérale. C’est une crise des grandes catégories de notre mental, c’est-à-dire du filtre d’interprétation que nous utilisons pour comprendre le monde.

Le règne de l’idéologie libérale et la myopie des analystes

Nicolas Béniès nous explique que l’idéologie néolibérale règne de manière hégémonique depuis le début des années 1980, elle est sans partage depuis la chute du mur de Berlin en 1989. Elle connait donc aujourd’hui une profonde crise de légitimité. Et il va même plus loin en expliquant que c’est parce que nos esprits sont prédisposées à penser avec ce filtre d’interprétation néolibérale qu’ils n’ont pas vu la crise se profiler dès l’été 2007. Loin de crier avec la meute des économistes qui, lorsque les choses se sont produites, avancent à qui veut bien l’entendre que cette crise était prévisible en oubliant soigneusement les analyses qu’ils produisaient la veille, Béniès reproduit en première partie de son livre un article qu’il avait publié en septembre 2007. Dans cet article, il présentait les grands trait de ce que pourrait être la crise des subprimes (crédits à taux élevés qui sont accordés aux ménages américains les moins aisés pour acquérir leurs maisons, sans prêter attention aux signaux de retournements des marchés) si elle n’était pas rapidement financés par des fonds publics.

Si les experts et les économistes n’avaient pas été aveuglés par l’idéologie néolibérale ambiante ils auraient pu produire des analyses en mesure de décrypter les phénomènes en cours. Ce fut paradoxalement le cas de Margaret Thatcher qui en 1987, alors qu’elle venait d’opter pour une déréglementation du marché des capitaux en octobre 1986, intervint de manière massive pour injecter des liquidités auprès des intermédiaires financiers qui non seulement leur permettaient de couvrir leurs pertes, mais également de réaliser les bénéfices escomptés. Cette intervention, prise à temps, permettait d’éviter la faillite des courtiers, qui par leur endettement entrainait celle des banques, puis au final celle des entreprises dépendantes des investissements productifs des établissements financiers. Pourtant parallèlement, Margaret Thatcher optait pour des privatisations du secteur public particulièrement impressionnantes puisque son programme portait sur 8 milliards de livres de 1979 à 1985, puis sur 25 milliards de 1986 à 1990; atteignant même l’électricité ou la distribution de l’eau. En la matière, l’Encyclopædia Universalis nous apprend que «Sans renier leur libéralisme en matière de flexibilité des marchés, les États-Unis depuis 1985 et la Grande-Bretagne depuis 1987 ont, à chaque signe de récession, renoncé au monétarisme, en réduisant substantiellement leurs taux d’intérêt, en dévaluant parfois leur monnaie et en faisant jouer au déficit budgétaire son rôle de soutien à la croissance.»

La financiarisation excessive de notre société

Immédiatement la clairvoyance dont fait preuve Béniès éveille l’intérêt. Et enfin, le contexte actuel étant favorable aux voix divergentes, il est possible d’écouter des explications qui s’inspirent d’une autre source que celle purement libérale qui, avec le temps contrairement aux pères fondateurs comme John Stuart Mill par exemple, est devenu liberticide. Béniès nous dit que ce n’est pas le marché qui est remis en cause. Ce qui l’est, concerne la manière dont la société produit de la richesse. Ce sont les formes d’accumulation du capital qui sont aujourd’hui remises en question par la crise. N’oublions pas que le rôle de la finance est de financer l’économie, de lui offrir les moyens de réaliser des objectifs en vue de satisfaire les besoins des hommes en société.

Aujourd’hui le capitalisme financier a envahi tous les secteurs économiques et préside à leur destinée. En fait, le capitalisme à dominante financière est devenu hégémonique depuis la chute du mur de Berlin. Il s’est étendu et aujourd’hui qu’il a colonisé toute la planète il doit, pour poursuivre son expansion, s’en prendre aux services publics qui proposent d’autres formes d’accumulation du capital qui échappent à sa logique de privatisation et à sa régulation du pouvoir.

Le capital obéit à ceux qui le possède, alors que les formes de régulation étatique obéissent plutôt à des logiques électorales (un individu, une voix, sans autre considération de richesse), souvent démocratiques, dont les déviances s’inscrivent dans des corruptions diverses (souvent liées au capital justement, par exemple les prêts accordés à l’ex-URSS par le FMI). Le capitalisme n’a pas besoin dans son fonctionnement d’une structure démocratique du pouvoir, contrairement à ce qu’exigent les citoyens des sociétés contemporaines.

Si la critique que produit Nicolas Béniès n’est pas centrée sur le marché c’est que l’échange de marchandises n’est qu’un moment dans la valorisation du capital, et ce n’est pas le plus important. Dans le cycle du capital, le moment le plus important est l’augmentation du taux de profit pour reprendre une terminologie marxiste. On est ici au coeur du capitalisme, c’est-à-dire au coeur d’un mode de production particulier, historiquement daté, qui est né et qui mourra.

Des voies alternatives à réexplorer…

Décomplexé par la faillite actuelle du système financier et des régulations mises en place que les politiques néolibérales, Béniès peut librement offrir une lecture de la crise qui s’inscrit dans une critique plus large de l’évolution récente du capitalisme. Dès le début des année 1980 la manière d’aborder, de comprendre l’économie, connait une profonde inflexion avec Ronald Reagan et sa politique néolibérale de dérèglementation aux Etats-Unis (désintermédiation des banques, et titrisation financière), et Margaret Thatcher et sa politique de privatisation en Grande Bretagne (désengagement de l’Etat sur de nombreux secteurs qui relevaient traditionnellement de sa compétence au profit d’acteurs privés). Le capitalisme connaît une nouvelle ère d’expansion. Puis avec la chute du mur de Berlin en 1989, ce mode d’accumulation du capital ne trouve plus d’autre lecture alternative du mode de fonctionnement des sociétés. C’est le règne sans partage de la circulation débridée du capital, et de l’utilisation de méthode de valorisation des capitaux de plus en plus virtuelle, atteignant un haut degré de sophistication (hedges funds etc…).

Avec la chute du mur d Berlin en novembre 1989, le capitalisme règne sans partage sur la majorité des organisations socio-économiques des hommes de toute la planète. La génération qui arrive actuellement sur le marché du travail n’a connu que cette idéologie, elle agit et elle pense en fonction d’elle. La bipolarité entre d’un coté le développement du capitalisme à l’ouest et de l’autre le développement du socialisme à l’est est aujourd’hui enterrée.

Il a existé des voies médianes entre ces deux extrêmes, mais qui sont restées marginalisées. Nicolas Béniès souhaitent les remettre à l’honneur parce que le socialisme demeure à ses yeux l’utopie (je ne sais pas s’il accréditerait ce vocable, mais dans mon esprit, il s’agit d’une acception positive) la plus à même de permettre aux hommes de vivre ensemble heureux.

Dans son acception générale, le socialisme, est non seulement le partage des fruits de la production, mais aussi le partage des moyens de production. Pour Nicolas Béniès, cet idéal a été perdu, y compris par les partis politiques qui se réclament du socialisme. Tout au plus ces partis proposent-ils un libéralisme teinté d’un accompagnement social. Pourtant la transition vers une société socialiste ne fut pas forcément pensé uniquement en terme de révolution et de dictature du prolétariat. Un théoricien comme Eduard Bernstein a pu pensé cette transition comme un réformisme utilisant largement les voies démocratiques.

Sans en révéler davantage, la lecture du livre de Nicolas Béniès, qui enseigne également le jazz, est d’une grande richesse. Elle permet de comprendre intelligemment comment évolue notre système socio-économique aujourd’hui. Il propose de réexplorer d’anciennes voies, hier abandonnées, à droite comme à gauche, par des partisans souvent radicaux, incapables d’emprunter une voie du milieu en matière sociale, une voie qui demande de l’audace et se refuse aux facilités des raisonnements à l’emporte-pièce.

Un livre critique, intelligent et donc très éclairant