Le testament syriaque de Barouk Salamé

Le testament syriaque de Barouk Salamé

Préambule

Le nouveau millénaire a déjà franchi les repères temporelles de la plupart de mes contemporains, tout au moins tous ceux qui calculent leur époque en s’appuyant sur la naissance de Jésus… Et avec ce millénaire, tel le premier cri du nouveau né, on entend le fracas de l’effondrement des tours jumelles de Manhattan, symbole de la financiarisation à outrance qui s’est emparée du monde occidental depuis une trentaine d’années, en imposant en partie sa mentalité au reste du monde. Depuis ces attentats, l’Islam est devenu un objet de crainte, de vénération, et bien heureusement d’études pour un public plus large. Cette riche tradition fut le fleuron de l’esprit éclairé de l’humanité depuis le moyen-âge jusqu’à la renaissance. Mais elle fut aussi à l’origine d’un mouvement d’expansion géographique depuis son foyer d’origine dans la péninsule arabique, mouvement multidirectionnel aux déplacements rapides, aux victoires fulgurantes, qui assimilait ou annihilait inexorablement les populations envahies. Si les traditions juives et chrétiennes ont connu depuis une cinquantaine d’années, des éclairages essentielles dans la compréhension de leurs origines, ce n’est pas le cas de l’Islam. De plus en plus de travaux s’attellent à éclairer cette origine comme ceux de Geneviève Gobillot, mais ils demeurent le plus souvent confidentiels. Ils sont également largement débattus par les spécialistes qui ne sont pas tous d’accord. Le grand mérite du roman de Barouk Salamé est de proposer, par le truchement d’une intrigue policière, une réflexion argumentée sur ses origines.

 

Un roman dans la lignée du Nom de la rose

Un roman dans la lignée du Nom de la rose

L’intrigue

Paul Mesure est un journaliste qui signe, depuis les attentats du 11 septembre, des papiers sur l’Islam. C’est un autodidacte « démerde », qui sait se sortir de situations risquées, surtout lorsqu’il travaille sur des ramifications de l’Islam radical. A la suite d’un service rendu à Tombouctou à une compagne qui lui sert aussi de guide, il négocie avec elle un manuscrit dans la bibliothèque de son père. Ce vieil érudit possède une très riche bibliothèque. A son insu, alors qu’il cherche simplement un manuscrit qu’il pourra négocier très cher dès son retour en France, il ramène un livre mythique puisqu’il s’agit du testament que le Prophète aurait dicté durant son agonie. Tout se gâte lorsque Paul Mesure décide de le faire expertiser en en divulguant quelques pages. Le texte est écrit en syriaque, la langue commerciale de l’époque, similaire à ce qu’est l’anglais aujourd’hui. Les meurtres se multiplient alors autour de ce journaliste. Un policier, Serge Sarfaty, spécialiste de l’Islam, est chargé de l’enquête. Le départ de l’intrigue est donc proche de celle du Nom de la rose d’Umberto Eco, puisqu’il y était question d’un manuscrit d’Aristote portant sur la comédie, manuscrit mythique dont l’existence à fait rêver de nombreux philosophes.

Les personnages

Barouk Salamé déploie toute une palette de personnages très réalistes, tantôt inquiétants, tantôt séduisants, parfois de violents ignares, parfois de doctes héros, l’un irradie de sainteté et l’autre abîme son esprit dans une soumission à ses plus bas instincts sous couvert de soumission à Dieu. L’histoire est riche de multiples rebondissements entre la police et les manoeuvres du journaliste pour lui échapper, avec l’intervention des services secrets français, américains et des réseaux pakistanais. Tissés de multiples intrigues qui toutes convergent vers ce manuscrit, Barouk Salamé distille une vision de l’Islam qui est tout sauf simpliste. Chaque personnage en offre une compréhension particulière, et au final le lecteur ne peut qu’être éblouit par toute la richesse de cette tradition capable de susciter le dévoilement des coeurs comme le fourvoiement des esprits. L’auteur écrit sous couvert d’un pseudonyme, couverture sans doute souhaitable pour exprimer librement l’amour qu’il porte à l’Islam tout en soulignant ses dérives sectaires. Dérives qui ne sont d’ailleurs pas seulement de la responsabilité de l’Islam.

Les personnages du roman discutent beaucoup, chacun y exprime a sa manière son amour et sa crainte de Dieu. Sarfaty se fait souvent le pragmatique défenseur d’une vision éclairante de l’Islam, lorsque le préfet lui demande : « il faudrait tout de même nous expliquer pourquoi le courant sectaire est si puissant chez les musulmans », le commissaire lui répond : « ce sont le pétrole et les puissances occidentales qui sont responsables de cette anomalie. L’ironie de l’histoire, c’est que La Mecque a été inventée pour fixer les Bédouins nomades en Arabie. Mais en laissant la famille Saoud s’emparer de La Mecque et de Médine, former le royaume de l’Arabie Saoudite, en sauvant trois ou quatre fois l’existence de cette monarchie xénophobe, la France et l’Angleterre, les USA et l’URSS ont permis aux Saoud d’utiliser leur richesse pour répandre la doctrine wahhabite partout dans le monde ».

Mais au-delà de ces considérations géopolitiques, ce qui m’a le plus touché dans le roman de Barouk Salamé, ce sont ses nombreuses références à l’Islam des lumières. Rumi est souvent convoqué, ainsi qu’Iqbal, le père de la nation pakistanaise. La vision qu’offre Sarfaty du Prophète est emprunte d’une poésie transfigurante. Cette poésie est d’ailleurs incarnée par certains personnages comme Ali, jeune musulman qui porte sur le monde un regard tendre et détaché. Il lit dans les coeurs avec équanimité, sans jugement, ses actes ressemblent au souffle d’une brise. Pourtant si léger qu’ils puissent paraître, ils sont à plusieurs reprises décisifs. Ce n’est d’ailleurs pas tant ce qu’il fait que ce qu’il inspire qui est décisif.

Le personnage de Bénazir Gurazi est très complexe. En lisant, j’ai oscillé longtemps, entre la crainte et l’adhésion. C’est une femme très belle, très intelligente, très dangereuse aussi. Bien qu’elle soit une femme de conviction, elle louvoie entre un idéalisme garant d’une innocente sans cesse active, et un pragmatisme teinté parfois de lassitude qui la rend opportuniste. Elle ne craint pas les corps-à-corps qu’ils soient belliqueux ou amoureux, mais le regard des hommes, chez qui elle suscite du respect dû à son autorité, peut parfois la déstabiliser. Avec Sarfaty, ils forment un couple qui met en mouvement toute l’histoire.

Pour conclure

Le livre a reçu un accueil très favorable de la part de tous les lecteurs avec qui j’ai pu partager des impressions. Chacun a apprécié de plonger dans une série d’intrigues qui révèle l’histoire originelle de l’Islam et son ancrage dans la tradition judéo-chrétienne, et d’autre part l’importance ce cette histoire revêt encore aujourd’hui pour toute la communauté de croyants musulmans. Communauté soudée et fervente, que Barouk Salamé décrit amoureusement et lucidement. Et chaque lecteur au final le remercie en son for intérieur pour les heures passées en la compagnie de son écriture.

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