Category Archives: Atelier « Écritures vagabondes »

The sound of the incurable disease

The sound of the incurable disease

Ça commence comme une histoire contée par Shéhérazade. Nous sommes donc a priori dans un lointain royaume d’Orient, où le soleil se le dispute aux yeux amandes de femmes magnifiques auréolées de mystères. Pourtant rapidement, les récits de Shéhérazade s’éloignent de cette destination fantasmée. Shéhérazade troque ses soieries pour les habits d’Ibn Battouta, grand voyageur devant l’Éternel. Parce que la musique métissée de Mehdi Alouane est bien l’évocation de nos mondes contemporains, ceux dans lesquels se tissent derrière les technologies numériques, les racines de traditions musicales ancestrales, « The sound of the incurable disease » m’a immédiatement évoqué un voyage hypnotique. Dès les premières trames musicales, je me suis senti happé par l’univers artistique du compositeur.

L’inspiration est différente de son premier album « Hatred for my inner chaos ». Ce premier opus était beaucoup plus sombre dans mes souvenirs parce que teinté de colères. Le voyage ressemblait à celui d’un douloureux déracinement. Mais le travail musical avait déjà cette qualité hypnotique, il suscitait déjà ma curiosité dans les méandres de ses mélodies. Si l’inspiration est donc beaucoup plus lumineuse à présent, la grammaire du parcours musical demeure la même à ceci près qu’elle s’étoffe d’un son d’une profondeur saisissante. La musique pénètre tout l’être, et ça vibre partout au rythme des émotions que la musique évoque.

Mehdi Alouane ose plonger ouvertement dans les inspirations qui l’habitent, avec une confiance pleine de maturité, sans les galvauder, en leur offrant toute son expérience de musicien. Il ose même des notes d’humour comme le final de « Affected memory » où le menuet clôt un chant maghrébin. Si les racines maghrébines sont souvent présentes, jamais la composition n’hésite à flirter avec tout ce que les oreilles peuvent capter pour servir au voyage, bifurquant allègrement vers le rock progressif, parfois même le chant grégorien. Malgré ses audaces, à aucun moment la musique ne m’est apparue comme syncrétique, le collage musical a toujours une pertinence émotionnelle.

Si je peux me permettre cette proximité avec toi, lecteur anonyme, je dirais volontiers que la musique de Mehdi Alouane te chope par les émotions. C’est en tout cas le parcours qu’elle m’a imposé. Et rapidement émerge l’impression que l’album se présente comme une œuvre compacte, imposant une unicité, interdisant d’être saucissonnée. Les treize plages qui partitionnent l’album sont à mon sens davantage des marqueurs dans une progression globale que des morceaux individuels. De nombreux rappels musicaux se manifestant au gré de l’album agissent d’ailleurs comme autant d’accords d’une partition unique. A l’époque du zapping, la démarche est audacieuse et appréciable, elle semble militer en faveur d’un profond respect du public et de sa capacité à s’immerger durablement dans un univers artistique.

Mehdi Alouane en seulement deux albums pourtant très différents à bien des égards, a réussi à caractériser sa démarche artistique par une signature tout à fait unique, sans doute une preuve supplémentaire de l’authenticité de sa musique.

The sound of incurable desease de Mehdi Alouane

Un album atypique, inclassable, une invitation au voyage hypnotique, teinté d'émotions multiples

Lancement de l’atelier des « Écritures vagabondes »

Lancement de l’atelier des « Écritures vagabondes »

L’écriture est un témoignage. Miroir de notre esprit et de sa versatilité, cette activité sculpte le langage verbal pour suggérer l’indicible de ce qui nous anime en propre. Le processus d’écriture ayant comme préoccupation essentielle la transparence à soi-même et aux autres, il peut s’exprimer en de multiples projets. Se développant en reconstruisant une réalité toujours tributaire de l’imaginaire, il se forme en narrations aux multiples ramifications, poétiques, romanesques, autobiographiques, conceptuelles…

Vagabonde par nature, l’écriture exige pourtant discipline et régularité dans ses errances. Pour l’écrivain vivant à ses dépens, elle nécessite même un exercice quotidien. Comme l’entraînement du sportif est indispensable à la réalisation de sa maîtrise, l’écriture quotidienne est nécessaire pour approfondir notre relation aux infinies variations qu’elle nous offre.

Tout ce que nous écrivons n’est pas destiné à être lu, pourtant une sagesse indienne l’affirme : « tout ce qui n’est pas donné est perdu ». L’atelier d’Écritures vagabondes nous invite donc à partager nos productions de textes. Donner nos écrits à lire aux autres en travaillant notre bienveillance à l’endroit même de sa pudeur, en acceptant nos maladresses, en donnant à voir une partie de notre intimité, en dévoilant délicatement nos fragilités, tel est le projet des Écritures vagabondes.

Par le truchement d’exercices simples, de contraintes ludiques, faisant appel à notre capacité d’imaginer, en respectant le jaillissement désordonné de nos idées, nous travaillerons mensuellement à dévoiler notre capacité à verbaliser. Nous dessinerons nos visages scripturaires, multiples et uniques, travaillant à sculpter notre expression tout en honorant la matière brute de nos émotions.

Écritures vagabondes se réunira une fois par mois, le mercredi de 12h à 13h aux dates suivantes : les 9 octobre, 13 novembre, 11 décembre, 15 janvier, 12 février, 26 mars, 9 avril, 21 mai et 11 juin. Pour que l’atelier puisse entrer dans un espace propice à son envol, il devra rassembler un groupe Ecam stable et clos de minimum cinq personnes sans en excéder dix. Si le projet des Écritures vagabondes vous séduit, vous pouvez me contacter. Les inscriptions suivront l’ordre chronologique des contacts. Seul le premier atelier du 9 octobre sera ouvert à quinze personnes pour permettre aux indécis de faire leur choix.

Pierre

Gandhi et le chemin pour sortir de l’enfer

Gandhi et le chemin pour sortir de l’enfer

Les Ivresses livresques ne sont pas sensés présenter des films. Et pourtant… J’ai revu hier, la fresque que Richard Attenborough a consacré à Gandhi en 1982. Le saint homme est interprété par Ben Kingsley. La vie de Gandhi est exemplaire à bien des égards, sans doute principalement parce qu’il y a peu de vies humaines autant consacrées à la non-violence, aussi fermement disposées à s’y immerger entièrement, peu de vies humaines dont l’exemple fut tellement visible également. Fermeté face à l’injustice et à la violence, et non-violence viscérale parce qu’animé d’une profonde intelligence, Gandhi voyait qu’au delà d’un succès éphémère, l’acte animé de violence ne faisait que semer les graines de la haine et de la discorde.

La scène qui m’a le plus touché se situe vers la fin du film. L’Inde est alors devenue indépendante, mais ce n’est plus l’Angleterre qui asservit les indiens, ce sont leurs propres démons au travers des deux grandes traditions spirituelles qui se côtoient en Inde: l’hindouisme et l’Islam. Pour éviter la guerre civile suite au retrait des anglais, Gandhi et les différents hommes politiques de l’Inde post-coloniale, principalement représentés dans le film par Nehru (coté hindou) et Jinnah (coté musulman), consentent bon gré mal gré, à créer l’état du Pakistan pour les musulmans. La création de cet état engendre des migrations très importantes entre les musulmans qui rejoignent leur nouvelle terre et les hindous qui la quittent. Des affrontements éclatent et l’Inde est au bord d’une guerre civile. Elle semble finalement inéluctable. Gandhi choisit alors d’élire domicile chez un musulman d’où il entame une grève de la faim tant que son pays n’aura pas déposé les armes. Sa santé se dégrade et la dévotion que le peuple indien lui porte finie par ramener à la raison les plus belliqueux.

On s’imagine souvent qu’un miracle est un acte extraordinaire. En fait un miracle est un acte extraordinaire, mais il n’est pas spécialement spectaculaire. Il se loge dans le quotidien d’un homme, ici dans la vie exemplaire de Ganghi. Le film de Richard Attenborough nous fait alors assister à ce moment du film à un véritable miracle.

Imaginez cette Inde meurtrie de part et d’autre par ces frères humains qui n’ayant pas les mêmes croyances ni les mêmes rites, oublient leurs similitudes pour n’exacerber que leurs différences. Gandhi n’a pas encore cessé sa grève de la faim, il est très affaibli, ses reins ne fonctionnent plus, ses amis le veillent comme on le fait pour un mourant. Les hindous les plus belliqueux n’ont pas complètement oubliés leur dévotion envers le Mahatma, « la grande âme ». Certains se rendent à son chevet pour y déposer leurs armes et l’implorer de renoncer, mais l’Inde connait encore à certains endroits des violences.

Soudain un homme apparait devant Gandhi, son regard semble être celui d’un fou. Il jette ses armes au pied de Gandhi. Des larmes coulent sur son visage. Il lui dit qu’il va aller en enfer mais qu’il ne veut pas y aller parce qu’il aura provoquer la mort du Mahatma. Alors Gandhi lui demande pourquoi il va aller en enfer. Les actes qu’il a commis l’ont rendu hagard et pourtant il en est pleinement lucide. Il confesse a Gandhi qu’il a tué de ses propres mains un enfant, un petit musulman. Et il s’effondre en larmes. Gandhi lui demande pour quelle raison il a commis cet acte. L’homme sanglote de plus belle et, tendant sa main tremblante à hauteur de sa hanche, il dit à Gandhi que les musulmans ont tué son fils qui avait cette taille.

Gandhi, immobile, le souffle court, et les yeux mi-clos, est également lucide, présent à cet homme qui flirte avec la folie. Il dit à l’homme qu’il connait un chemin pour sortir de l’enfer. Les yeux de l’homme sont tout écarquillés sans doute parce qu’un tel chemin dépasse son entendement. Gandhi lui dit alors de trouver un enfant musulman de la même taille que son fils défunt, un enfant orphelin. Puis il lui dit de l’adopter et de l’élever… Mais il lui dit aussi de l’élever comme un musulman. L’homme se lève lentement, mais il a tout compris instantanément. Les énergies infernales qui l’habitaient vacillent à la lueur de cette compréhension qui sonne comme une libération. La réalité se redéploie au-delà du chemin infernal qu’il s’était tracé dans l’ignorance causée par sa souffrance. Son fils lui a été enlevé et là dessus rien n’a changé, ses terribles actes conditionnés par l’intolérable souffrance qui l’habitait ne sont pas effacés, et pourtant au chevet d’un vieil homme épuisé, sa vie au-delà de son chagrin de père et de son infanticide retrouve un sens. Un chemin dans cette vie lui est encore offert. Pour lui, un miracle s’est produit, par la grâce de Gandhi il a réinvesti sa vie…

 

Autobiographie de Gandhi

Autoportrait d'un homme exemplaire